"C'est toujours émouvant de voir des enfants qui apprennent à rouler pour la première fois. On voit clairement à travers eux la sensation de liberté et d'autonomie qu'ils découvrent". Lydie Roumian, monitrice vélo depuis 2021 dans les Bouches-du-Rhône pour l’ADAVA, a formé près de 2 000 enfants en quatre ans. Comme elle, des centaines d'intervenant·es ont permis le déploiement du Savoir Rouler à Vélo partout en France avec le soutien de Génération Vélo.
Génération Vélo : bien plus qu'un soutien financier
Pour elle, le programme a apporté "un soutien structurel et une mise en réseau essentiels". "Génération Vélo m'a permis d'accéder à des ressources pédagogiques de qualité et de rejoindre une communauté d'acteurs. Cela a aussi donné une meilleure reconnaissance au travail que nous faisions sur la mobilité sur notre territoire."
"Le fait qu’un programme national accompagne la mise en œuvre de la politique publique, cela crée un mouvement d'ensemble qui donne de la légitimité au projet", explique Philippe Aubin, éducateur et animateur à la mobilité à vélo depuis six ans après une longue carrière d'éducateur spécialisé auprès d'enfants porteurs de handicap.
Yann Bonnamour, entraîneur de cyclisme et salarié du Team Sprint Energy (un club affilié à la Fédération française de cyclisme), souligne l'effet facilitateur sur le long terme. Depuis cinq ans, il déploie le SRAV auprès de 700 élèves par an pour la communauté de communes du Val d'Ille d'Aubigné, au nord de Rennes : "Le financement de Génération Vélo a facilité le renouvellement de notre partenariat avec la communauté de communes dans un contexte de baisse des subventions publiques."
Des moments marquants sur le terrain
Tous trois gardent en mémoire des souvenirs forts de leurs interventions. Lydie Roumian se souvient notamment d'une élève qui, après avoir surmonté ses difficultés d'équilibre, utilise aujourd’hui son vélo pour aller à son activité sportive. Ou encore de cette aide de cantine qui, après avoir observé les enfants, a décidé d’apprendre elle-même à faire du vélo à 50 ans passés.
Yann Bonnamour, lui, tire satisfaction de voir ses ancien·nes élèves de CM2 devenir autonomes : "Ce qui me fait plaisir, c'est de les voir aller au collège à vélo. Quand je passe près des collèges et que je les vois sur les pistes cyclables, je me dis que l'objectif est atteint."
Un impact territorial
Génération Vélo a contribué à ancrer durablement la pratique du Savoir Rouler à Vélo dans les territoires. "Depuis cinq ans, l’ensemble des élèves de CM2 du Val d'Ille d'Aubigné suivent le Savoir Rouler à Vélo avant leur entrée au collège, c’est énorme", pointe Yann Bonnamour.
Lydie Roumian constate que le programme agit comme "un levier politique": "Le fait d'avoir formé 2 000 enfants crédibilise le projet et incite les collectivités à s'équiper de pistes cyclables, à accompagner davantage leurs élèves, à créer des partenariats avec les écoles."
La perception du vélo transformée
Les interventions SRAV ont profondément changé la perception du vélo chez les enfants et leurs familles. "Pour une bonne partie des enfants, c'est un mode de transport qu'ils n'utilisaient pas forcément", explique Lydie Roumian. "Le fait de l'avoir pratiqué sur route plusieurs fois leur permet de se rendre compte à quel point c’est simple. Ils comprennent également l’aspect écologique et économique de ce mode de transport."
Cette transformation ne touche pas que les enfants. "Ces interventions permettent aux parents de gagner en confiance", explique Lydie Roumian. Lors des sorties finales où les enfants réalisent seul·es le parcours avec des parents postés aux postes-clés de l’itinéraire, "les parents mobilisés voient passer 50 jeunes et constatent toute la sécurité qu'on leur apprend. Cela les incite ensuite à utiliser plus sereinement le vélo avec leurs enfants”
Philippe Aubin souligne également l'impact sur les enseignant·es : "Le vélo révèle une autre facette des enfants aux enseignant·es."
L'après Génération Vélo : entre incertitudes et opportunités
La perspective de la fin prochaine du programme nourrit des craintes légitimes. Pour Yann, dont le poste repose largement sur le SRAV, l'avenir est incertain : "La suite dépendra de la collectivité : si elle peut continuer à financer le programme sans cofinancement, nous maintiendrons le rythme. Sinon, il faudra nous adapter. Mon poste pourrait être revu et mon temps de travail réduit."
L’ADAVA envisage un recentrage de son activité : "Plusieurs collectivités vont poursuivre le déploiement du SRAV en s’appuyant sur leurs agent·es en interne, qu’elles ont formé·es. Nous allons donc nous concentrer davantage sur le bloc 3, l'accompagnement de sorties sur route, où c'est beaucoup plus engageant pour les collectivités et les enseignant·es", souligne Lydie Roumian. L’ADAVA développe également le vélo santé et la mobilité inclusive avec le programme Vélo-Égaux, qui accompagne les personnes en situation de précarité à l’usage du vélo au quotidien.
Philippe Aubin, qui s’apprête à prendre sa retraite, restera actif dans la formation : "Je vais continuer à intervenir si je suis sollicité, mais avec une démarche moins proactive."
Les conditions de la pérennité
Tou·tes s'accordent sur les conditions nécessaires pour maintenir le SRAV après Génération Vélo.
Philippe Aubin insiste sur la dimension humaine : "Le maintien du SRAV, c'est le maintien de la volonté. Sans personne qui porte le projet sur un territoire, que ce soit un directeur d'école, un élu aux mobilités, ça ne se perpétuera pas."
Yann Bonnamour estime que la solution sera "sûrement politique", car sans Génération Vélo, “les mairies ne pourront plus assurer à elles seules le financement du projet". Il voit dans les communautés de communes une meilleure capacité à maintenir ces budgets que les communes individuelles.
Et demain ?
Ces expériences font apparaître des conditions favorables à la poursuite du SRAV.
"Le SRAV, c'est plus qu'un apprentissage du vélo. C'est un outil de transformation urbain et social qui participe à la dynamique pour une mobilité durable, réduit la circulation automobile, favorise l'autonomie et le bien-être des citoyen·nes. Soutenir le SRAV, c'est investir dans l'avenir", plaide Lydie Roumian.
Yann insiste sur la cohérence des politiques publiques : "On voit de plus en plus d'aménagements adaptés pour la pratique du vélo, des pistes cyclables. C'est indispensable en parallèle de continuer à apprendre aux enfants à faire du vélo et à connaître le code de la route. L'un ne va pas sans l'autre."
© Lydie Roumian